Cet article est signé par Jacob Morin et William Bernier, kinésiologues et fondateurs du club de course Le Premier Pas. Que ce soit sur l’entraînement, la récupération ou la progression, ils sont là pour vous guider et vous motiver en partageant leur expertise.
Longtemps boudée par les coureurs, la musculation s’impose aujourd’hui comme l’un des leviers les plus puissants pour améliorer la performance, sans alourdir la foulée. Saviez-vous que combiner l’entraînement en force à l’entraînement aérobie améliore l’économie de course de 2 à 8 % et les performances en contre-la-montre de 3 à 5 % ? (Blagrove et coll., 2017) [1]
L’approche consistant à simplement accumuler les kilomètres montre ici ses limites. Progresser demande plus que du volume. Pour cette raison, le « off-season » ne représente pas uniquement une phase de réduction du volume de course, mais également une opportunité pour renforcer la résilience musculaire, corriger les déséquilibres et consolider les fondations de la saison à venir. C’est là que se distingue le coureur qui s’use de celui qui progresse. Il devient plus solide, plus efficace, et surtout, plus rapide.
La crainte que la musculation, notamment la force, alourdisse les coureurs et nuise à leurs performances est un mythe. Une étude majeure de Blagrove et son équipe (2017) [1] a montré que l’entraînement en force combiné à l’entraînement en endurance ne semblait pas modifier la masse musculaire des coureurs. Même après des protocoles d’entraînement allant jusqu’à 14 semaines, aucune prise de masse significative n’a été observée chez les coureurs.
Comment la force transforme votre foulée
Selon Rønnestad et Mujika (2013) [2], l’économie de course s’améliore grâce à un renforcement musculaire ciblé. Des muscles plus forts, rigides et réactifs permettent une meilleure restitution de l’énergie élastique à chaque foulée, ce qui implique une réduction de la dépense énergétique pour maintenir la même vitesse. En d’autres termes, c’est un peu comme la consommation d’essence d’une voiture. Celle la plus « économe » avancera plus loin avec le même litre d’essence.
De plus, Blagrove et coll. (2017) [1] ont montré que ce type d’entraînement contribue également à améliorer la performance en course, en augmentant la puissance musculaire, la stabilité, et la tolérance à la fatigue. Ces adaptations neuromusculaires permettent une meilleure utilisation de la force au sol et un maintien plus durable de la vitesse de course pour l’atteinte de nouveaux records!
Certains principes de base pour construire une base solide
Avant de penser à soulever lourd, il faut d’abord apprendre à bien bouger. Le développement de la force commence par une phase de familiarisation où la priorité est la maîtrise technique. Cette étape, souvent négligée, prépare le système neuromusculaire et réduit considérablement le risque de blessure (Laueren J. B. et coll., 2018) [3]. La clé est la progressivité, soit d’augmenter graduellement le volume et l’intensité pour bâtir une fondation durable. Pour les débutants, cette phase préparatoire doit être plus longue afin de garantir une adaptation sécuritaire.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’entraînement en force ne se limite pas qu’à un bas nombre de répétitions et des charges maximales. Des études ont démontré que des gains de force significatifs peuvent également être obtenus dans une fourchette de 6 à 12 répétitions, surtout lorsque l’effort est mené près de l’échec musculaire (Kraemer & Ratamess, 2004) [4]. Ce travail modéré en charge mais élevé en effort permet d’améliorer les qualités musculaires désirées et ce, sans nuire aux capacités d’endurance.
La phase de force n’est pas un passage obligé avant « la vraie saison », mais bien l’objectif central du travail musculaire. C’est elle qui procure le plus de bénéfices au coureur. Les phases de puissance et de pliométrie viennent ensuite en complément : elles affinent la capacité à exprimer cette force rapidement, rendant le geste encore plus spécifique à la course.
Pour qu’un exercice soit réellement utile, il doit vous rendre plus efficace en course à pied. On arrive donc au principe de spécificité. Le respecter demande de reproduire, sous une autre forme, les exigences du geste de course. On privilégie donc les exercices unilatéraux (comme les fentes bulgares ou le single-leg deadlift), qui sont exécutés sur une seule jambe d’appui.
Et puisque la spécificité ne s’arrête pas au mouvement, mais aussi aux muscles qu’il sollicite, voyons maintenant quels groupes musculaires jouent le rôle clé dans la performance en course à pied.
Quels muscles cibler ? Le rôle clé de la chaîne postérieure
La spécificité s’applique aussi aux muscles ciblés. Pour la course, il faut logiquement renforcer les groupes musculaires les plus sollicités. La science nous montre une fascinante transition de rôle au sein de la chaîne postérieure.
À allure d’endurance, c’est le soléaire (muscle profond du mollet) qui domine. Il peut générer à lui seul jusqu’à 50 % de la force verticale qui vous soutient à chaque foulée (Dorn et al., 2012) [5].
Pour accélérer, le moteur principal change. La contribution des mollets à la production d’énergie diminue (passant d’environ 45 % à 24 %), tandis que celle des extenseurs de la hanche (fessiers et ischio-jambiers) explose (passant de 22 % à 46 %). Ils deviennent le moteur principal au-delà de 18 km/h (Willer et al., 2024) [6].
Le point clé est donc de cibler et renforcer l’ensemble de la chaîne postérieure. Ce terme désigne le puissant groupe de muscles situés à l’arrière du corps, incluant les mollets, les ischio-jambiers, les fessiers et le bas du dos. C’est le véritable moteur du coureur, et son entraînement doit être adapté selon vos objectifs de vitesse et votre phase de préparation.
Les outils et principes clés de l’entraînement en force
Il représente une méthode intuitive pour mesurer l’intensité de votre effort musculaire. Plutôt que de noter votre effort sur une échelle de 0 à 10, le RER vous demande de déterminer combien de répétitions supplémentaires vous auriez pu réaliser avant d’atteindre l’échec musculaire complet.
C’est un outil puissant qui vous accompagne à chaque série, peu importe le nombre de répétitions que vous visez (que ce soit 4, 8 ou 15). Il vous aide à vous assurer que la stimulation est adéquate et vous offre la flexibilité d’ajuster vos charges en fonction de votre niveau d’énergie du jour ou de vos progrès à long terme.
*Par exemple : Si vous effectuez une série de 6 fentes et que vous sentez qu’à la fin, vous auriez pu en faire 2 de plus avant de ne plus pouvoir vous relever, votre RER pour cette série était de 2.
Celui-ci est essentiel pour bien doser l’intensité de notre entraînement musculaire. Ce concept fait référence à la charge maximale que l’on peut soulever pour une seule répétition. Tel qu’indiqué dans l’étude de Mayhew et coll. (1995) [7], cette méthode est la plus utilisée en musculation pour déterminer la force musculaire, ce permet ensuite de déterminer les intensités d’entraînement idéales. En déterminant des charges de travail en pourcentage de ce maximum, vous pouvez viser un nombre de répétitions précis.
Pour éviter les risques d’un test maximal, il est courant d’estimer le 1RM. Par exemple, en effectuant une série de 8 répétitions jusqu’à l’échec (0 RER), vous travaillez avec une charge plus faible qui, selon les tables de conversion de Berger, équivaut à 83,3 % de votre force maximale. Un calcul simple permet alors d’estimer votre 1RM : si vous avez soulevé 100 lbs pour 8 répétitions au squat, votre 1RM théorique serait d’environ 120 lbs (100 / 0,833).
En kinésiologie, pour prescrire une dose d’activité physique de manière claire et efficace, on utilise l’acronyme FITT. Ce cadre permet de définir précisément les paramètres de l’entraînement, notamment en musculation :
Plus le coureur débute en musculation, plus cette phase doit être longue et qu’est essentielle pour construire une base solide et maîtriser la technique avant d’attaquer la phase de force.
Cette prescription vise à maximiser les gains de force, qui constituent l’objectif principal de la musculation pour un coureur (Rønnestad & Mujika, 2013) [2] (Markov A. et coll., 2022) [8].
Les 3 erreurs à éviter pour un entraînement efficace
La première erreur courante avec l’entraînement en force est le fait d’avoir une mauvaise qualité d’exécution des exercices, sans le savoir. Vous aurez compris plus tôt que l’entraînement en force induit des adaptations neuromusculaires spécifiques, comme un meilleur recrutement des unités motrices et une rigidité musculo-tendineuse accrue, qui sont essentielles pour améliorer la performance du coureur (Blagrove et coll., 2017) [1]. Or, la méta-analyse de Lacroix et collaborateurs (2017) [9] démontre que le gain de ce type d’adaptation est significativement supérieur lorsque l’entraînement est supervisé, car la supervision assure une meilleure qualité d’exécution des exercices. Par conséquent, pour obtenir ces adaptations neuromusculaires précises et atteindre son plein potentiel, la supervision n’est pas une simple option mais une condition essentielle pour garantir la qualité de chaque mouvement.
Une erreur courante est de négliger l’entraînement des muscles du pied (le « foot core »), en le considérant uniquement comme un outil de réadaptation prescrit par un physiothérapeute après une blessure. Pourtant, la science positionne ce travail comme l’une des formes de musculation les plus puissante comme stratégie de prévention. Une étude clé a démontré qu’un programme de renforcement du pied divisait le risque de blessure par près de 2,5 sur une année complète (Taddei et al., 2020) [10]. Cet entraînement devrait donc être une composante de base de la préparation de tout coureur, et non une simple solution corrective.
La fatigue d’une séance de musculation peut nuire à un entraînement d’endurance si les séances sont trop rapprochées. Bien que l’interférence s’estompe après quelques heures (Petré et coll., 2021) [11], la récupération complète est bien plus longue. Une étude a démontré qu’après un entraînement en résistance, aucun athlète n’avait récupéré sa pleine capacité en 24 heures. Il a fallu attendre 48 heures pour que 40 % des sujets récupèrent, et 72 heures pour que 80 % y parviennent. Par conséquent, même un repos de 24 heures entre les deux types de séances à haute intensité (p.ex. : une séance de course par intervalle et un entraînement en force) peut être insuffisant pour permettre une performance optimale.
Bibliographie :
[1] Blagrove, R. C., Howatson, G., & Hayes, P. R. (2018). Effects of Strength Training on the Physiological Determinants of Middle- and Long-Distance Running Performance: A Systematic Review. Sports Medicine, 48(5), 1117–1149. https://doi.org/10.1007/s40279-017-0835-7
[2] Rønnestad, B. R., & Mujika, I. (2014). Optimizing strength training for running and cycling endurance performance: A review. Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports, 24(4), 603–612. https://doi.org/10.1111/sms.12104
[3] Lauersen, J. B., Andersen, T. E., & Andersen, L. B. (2018). Strength training as superior, dose-dependent and safe prevention of acute and overuse sports injuries: a systematic review, qualitative analysis and meta-analysis. British journal of sports medicine, 52(24), 1557–1563. https://doi.org/10.1136/bjsports-2018-099078
[4] Kraemer, W. J., & Ratamess, N. A. (2004). Fundamentals of resistance training: progression and exercise prescription. Medicine and Science in Sports and Exercise, 36(4), 674–688.
[5] Dorn, T. W., Schache, A. G., & Pandy, M. G. (2012). Muscular strategy shift in human running: dependence of running speed on hip and ankle muscle performance. The Journal of Experimental Biology, 215(Pt 11), 1944–1956. https://doi.org/10.1242/jeb.064527
[6] Willer, J., Allen, S. J., Burden, R. J., & Folland, J. P. (2024). How Humans Run Faster: The Neuromechanical Contributions of Functional Muscle Groups to Running at Different Speeds. Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports, 34(8), e14690. https://doi.org/10.1111/sms.14690
[7] Mayhew, J. L., Prinster, J. L., Ware, J. S., Zimmer, D. L., Arabas, J. R., & Bemben, M. G. (1995). The accuracy of prediction equations for estimating 1-RM performance in upper and lower body exercises. The Journal of Strength & Conditioning Research, 9(4), 211-214.
[8] Markov, A., Hauser, L., & Chaabene, H. (2023). Effects of Concurrent Strength and Endurance Training on Measures of Physical Fitness in Healthy Middle-Aged and Older Adults: A Systematic Review with Meta-Analysis. Sports Medicine (Auckland, N.Z.), 53(2), 437–455. https://doi.org/10.1007/s40279-022-01764-2
[9] Lacroix, A., Hortobágyi, T., Beurskens, R., & Granacher, U. (2017). Supervised versus unsupervised training programs: a meta-analysis. Sports Medicine, 47(11), 2341–2361. https://doi.org/10.1007/s40279-017-0733-6
[10] Taddei, U. T., Matias, A. B., Duarte, M., & Sacco, I. C. N. (2020). Foot core training to prevent running-related injuries: A survival analysis of a single-blind, randomized controlled trial. The American Journal of Sports Medicine, 48(14), 3610–3619. https://doi.org/10.1177/0363546520969205
[11] Petré, H., Hemmingsson, E., Rosdahl, H., & Psilander, N. (2021). Development of maximal dynamic strength during concurrent resistance and endurance training in untrained, moderately trained, and trained individuals: A systematic review and meta-analysis. Sports Medicine, 51(5), 991–1010. https://doi.org/10.1007/s40279-021-01426-9